On dit des femmes slaves qu’elles possèdent un truc que ne possèdent pas les autres. Elles sont comme des statues solidement ancrées dans la brume épaisse : à la fois belles et glaciales, charmantes et hautaines. Ma Varsovie m’est apparue de la même façon.
FOUS TA CAGOULE
On ne va pas se mentir. Se rendre en Pologne en hiver, c’est comme sortir fumer une clope en T-shirt quand il neige, que tu es bourré et que tu as la flemme de récupérer ton manteau au vestiaire du bar :
tu as froid, mais tu es content. Evidemment, les non-fumeurs et les habitués aux climats défavorables (mes amitiés aux Lillois) ne peuvent pas comprendre (quoique).
Mais imagine-moi, pauvre Toulousain, le sang chaud, débarquer
en plein Décembre dans le gel et la brume ! Et pourtant, je suis déjà allé dans le cercle polaire arctique, au nord de la Norvège, en Février, sous – 25 degrés avec un vent à réveiller ta grand-mère d’outre-tombe (paix à son âme). Mais là au moins, j’étais prévenu, je m’étais préparé en conséquence ! Triples chaussettes et Bibendum style, c’est passé.
A Varsovie, c’est un froid vicelard. En journée, c’est supportable avec de bonnes couches de vêtements. Mais on ne m’a pas prévenu qu’il faisait nuit à 16 heures ! Là, le vent se lève un peu, et tu passes de 3 degrés à -2 en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Bref, je ne vais pas écrire cinquante lignes sur la météo, tu m’auras compris : on se les gèle.
Comme c’est mon premier article, je vais quand même me présenter. Oh, et après tout, non. Tu n’auras qu’à me suivre tout au long de mes écritures sur ce blog, et qui seront, à coup sûr, absolument géniales (on précise le ton ironique de mon propos ou c’est bon ?).
Tu dois juste savoir que je m’appelle Fabian, presque la trentaine, adorant voyager (seul ou accompagné, ça dépend de ce que j’ai mangé à midi). J’ai ainsi parcouru une quinzaine de pays en quatre ans, le plus souvent en mode sac à dos et sans préparation. Ah oui, au fait, j’ai décidé de te tutoyer.
MON BEAU SAPIN
Les premières impressions, comme très souvent lorsque l’on débarque dans un endroit inconnu en avion puis en transports en commun du genre bus ou train, sont mitigées.
Ma Varsovie m’est d’abord apparue immense, bondée, bruyante, inhospitalière. La faute à d’immenses tours de béton et de verre qui disparaissent dans le brouillard froid, la faute aux dédales souterrains qui sont autant de fourmilières où courent des Polonais citadins, donc pressés.
Passés le brouhaha et l’agitation, j’ai le plaisir de constater que mon “hostel” (c’est le terme pour dire “auberge de jeunesse”, au cas où tu ne le saurais pas, pauvre sédentaire) se trouve dans une avenue calme (car bizarrement presque sans véhicules, hormis les taxis et les bus), aux sols pavés et aux façades plutôt chics, décorées de mille lumières éblouissantes, Noël oblige.
Dynamique, ma Varsovie m’offre donc un deuxième souffle, plus posé qu’à mon arrivée.
C’est con à quel point la multiplication d’ampoules de toutes les couleurs peut te faire te sentir comme un gamin !
L’auberge, The New World Hostel, a l’air accueillante, sans chichis. Deux personnes m’avaient apporté spontanément, dans la rue, leur aide pour m’indiquer le chemin, sans que je ne demande rien. Sympas, ces Polski.
“C’est pas un français qui aurait fait ça” (ou typiquement le genre de phrase un peu stupide qu’on aime à se répéter au bout de trente-deux minutes passées dans un pays étranger forcément plus cool puisque sans râleurs et sans Nabilla).
La jeune femme de la réception, certainement une étudiante Polonaise qui arrondit ses fins de mois en répétant vingt fois par jour “here is the kitchen, and here is your bedroom” aux nouveaux arrivants, me conseille chaleureusement
un endroit où manger local. J’y cours. Ça tombe bien, c’est dans ma rue.
Il s’agit en fait d’un resto réputé, sorte de chaîne nationale, appelé
Zapiecek. Décor en bois, décoration et vaisselle kitch en porcelaine de grand-mère, serveuses habillées de manière traditionnelle :
je suis en train de bouffer dans l’antre du touriste flemmard, mais la bouffe est délicieuse, alors quoi ?
Je met mes habitudes de baroudeur de côté. On y sert des
pierogi à toutes les sauces. C’est la spécialité. Ce sont de grands raviolis frais. Tu aimerais, même si tu n’aimes pas les raviolis en boîte, ce qui prouve, de surcroît, ton intelligence (et il en faut pour me lire, ça tombe bien).
Les soupes aussi sont excellentes : aux champignons fumés, à la betterave, aux pois cassés… dépaysement garanti ! Le tout pour une demi-douzaine d’euros avec une bière bien fraîche (qu’on te propose de te servir chaude… ça va pas ou quoi ?).
Déjà crevé car un peu déboussolé par la nuit qui s’est invitée tôt comme un ami un peu trop collant qui débarque chez toi à l’improviste,
j’arpente l’avenue jonchée de décorations de Noël.
L’effet est là, la magie opère. C’est con à quel point la multiplication d’ampoules de toutes les couleurs peut te faire te sentir comme un gamin !
J’ai l’impression d’avoir cinq ans et j’ai presque envie de monter dans le petit train multicolore à côté du Père Noël qui embrasse les enfants dans la rue… Bon ok, je suis monté dans le petit train.
Je finis par arpenter un marché de nuit aux abords de la vieille ville. Un vin chaud (avec un kilo de cannelle à l’intérieur), moi et mes membres gelés se traînons maintenant dans la grande et belle place en face du palais royal. Au centre : un énorme sapin de quinze ou vingt mètres trône fièrement, pour le plus grand plaisir des yeux.
De mémoire, je n’ai jamais autant ressenti l’esprit de Noël ailleurs. Certainement parce que les Polonais sont très catholiques.
Fatigué par la nuit et le froid (il n’y a pas de décalage horaire, ce qui est encore plus étrange pour le cerveau, surtout le mien), je réserve mes forces pour être d’attaque les jours qui suivent et essayer d’embrasser ma Varsovie comme un héros de films d’action : fougueusement, rapidement, sans prévenir.
DÉCOR DE CINÉMA
Deuxième jour.
Malgré ma fatigue, je n’ai pas bien dormi. Le petit déjeuner sans goût de l’
hostel ne joue pas en la faveur du premier sourire de la journée. Enfin, je dis ça, mais s’il le faut,
tu aurais adoré leur espèce de cake imbibé de cannelle (à vue de nez, quatorze kilos de cannelle pour cent grammes de pain).
Je décide de visiter la vieille ville non loin de là. Je ne connaissais pas du tout l’histoire du pays et de Varsovie. J’avais la fâcheuse tendance à m’endormir de façon obstinée quand un professeur d’Histoire s’approchait à moins de cinq mètres de ma tête dure.
En lisant quelques guides et brochures, j’ai compris. Si tu ne sais pas,
la capitale a été quasiment rasée durant la seconde guerre mondiale. Du coup, tout a été reconstruit ensuite. Et même ce qu’on appelle la “vieille ville” est très récente.
C’est à l’identique de ce qu’il y avait avant, donc à l’aspect ancien, mais en fait, c’est tout neuf. Ce qui donne une impression vraiment étrange (ceux qui me suivent sur
Instagram le savent déjà), celle de déambuler dans un décor de cinéma.
Tout semble ancien et immaculé à la fois. Il n’y a pas la trace d’usure qui fait le charme des vieilles façades. Pas de rouille sur les tuyaux, pas de peinture qui s’effrite sur les volets.
Me voilà en train de lever les yeux sur des maisons anciennes à l’allure niquel chrome. Le charme se situe dans l’Histoire, celle d’un peuple qui s’est mobilisé corps et âme pour rebâtir sa Varsovie.
D’églises en églises, de places en places,
je déambule dans un froid calme et implacable, toujours entouré de sapins de Noël et de devantures de magasins aux couleurs de l’hiver.
Je décide d’entrer dans un “bar à lait”. Contrairement à ce que tu penses, cher ignare, on n’y vend pas du lait. Il s’agit en fait d’une cantine à l’ancienne, où une tenancière âgée prend ta commande (si tu ne sais pas lire le Polonais, choisis au hasard, et bonne chance copain !) pour te donner un ticket que tu remets à travers un passe-plat à quelques mamies Polonaises au travail derrière les fourneaux.
Les habitants viennent y manger, souvent seuls, pendant la pause boulot.
Présentation spartiate, mais prix incroyables et surprises gustatives (avec un peu de chance), selon que tu tombes sur un ragoût oubliable de viande froide ou quelque chose de nettement plus appétissant comme une excellente soupe à la tomate. Le tout dans un décor tellement kitsch que même ta grand-mère trouverait ça ringard (décidément, je ne la lâche pas, celle-là !).
La bedaine bien pleine, prêt à attaquer le brouillard givrant,
je m’engouffre dans le Palais Royal et visite ses jolies pièces. Ce n’est pas Versailles mais ça vaut quand même le coup de s’y arrêter, surtout si tu aimes les portraits de rois aux noms Polonais, donc imprononçables.
PLAISIR NON COUPABLE
Ah oui, je ne t’ai pas dit, mais depuis le départ, une autre paire de jambes frigorifiées me suit dans mon citytrip. Or, je préfère te parler à la première personne. Non pas que je possède un ego surdimensionné (chut), ni que je dédaigne la personne qui m’accompagne (bien au contraire…), mais je préfère comme ça. Ça permet de tisser des liens avec mes lecteurs, donc avec Toi, et tous les autres Toi qui me liront (que n’importe quel Dieu les bénisse !).
J’avais pris pour habitude de voyager seul, et je continuerai à le faire (et tu en seras le témoin privilégié, mon pote !).
Mais mon esprit aventurier a aussi vu que c’était bien de partager. Donc je partage, avec plaisir.
C’est par exemple par pur esprit de partage, donc, que
je me suis retrouvé dans un endroit chic, pour pas dire guindé, qui ressemble à première vue à
une chocolaterie si l’on se réfère aux centaines de bonhommes de neige en chocolat blanc qui se mêlent à d’anciennes machines à café et autres vieux ustensiles de cuisine en guise de décoration.
Cerise sur le moelleux, c’est
un des rares magasins qui a été épargné par les bombes.
Entre nous, je n’y serais pas rentré seul. Je préfère les lieux pittoresques où ça sent bon le populaire, voire la populasse, bref, le pauvre quoi (si t’es riche reste quand même, je t’aime bien aussi).
Mais j’aurais eu tort :
j’y ai goûté le meilleur chocolat chaud du monde ! Et même les trois meilleurs ! Un triptyque avec trois tasses de pur cacao : chocolat blanc, au lait, et noir. A tomber par terre, je te jure !
Je mesurais alors la chance que j’avais de pouvoir me le payer, sachant que le salaire moyen d’un Polonais est nettement moins élevé que le mien, et même le tien.
Je délectais ces élixirs avec un plaisir presque non coupable. Ah oui, pour toutes les adresses et les bons plans, je ferai un récapitulatif dans un autre article, ne t’inquiète pas.
CHOPIN PAS CHAUD
Le soir venu (j’adore cette entame, ça fait très “conte de Noël”, du coup c’est carrément dans le thème), je mange dans un resto Vietnamien (certains crieront au scandale, mais promis, quand j’irai au Vietnam, je mangerai Polonais) puis bois quelques bières dans
les bars alternatifs de ma Varsovie. C’est une rangée de bars disposés en “cubes” de tailles égales.
Vu de l’extérieur, on dirait des petites cages à poules où s’ennivre à la chaîne la jeunesse Polska.
En déambulant dans ces enclos vitrés, on y découvre
des ambiances différentes, tantôt
cosy, avec des sous-sols jonchés de poufs et de canapés, tantôt plus
hardcore, avec un son techno bien rageux et un serveur un peu déjanté qui sert des shooters couleur acidulée à des ados emo-rock.
Dans tous les cas, les pintes de bière sont à un prix dérisoire et tous les gosiers en sont remplis. Un endroit sympa, quoi.
Déjà plus de la moitié du petit séjour est entamée. Ne pas penser à la fin. Ne pas penser au début. La nuit a été meilleure que la précédente, mon cerveau s’est habitué à ce que la lumière du ciel s’éteigne à l’heure habituelle où je me tape un bon goûter (à base de saucisson, de préférence). En plus, il y a des gaufres à l’
hostel ! Que le mec qui s’est occupé du petit dej’ ce matin-là soit béni parmi les saints !
La discussion s’installe autour de la table :
un groupe de français déconseille d’aller au musée Chopin, entre deux blagues sur le climat et les Bretons.
Ouais, parce qu’en fait, je comptais aller au musée Chopin. Parce qu’en fait, Chopin, il est Polonais. Parce qu’en fait, quand tu te les caille, tu veux rester à l’intérieur. Et parce qu’en fait, j’aime toutes les musiques, même celles que tu détestes. Mais par expérience, je sais qu’il faut écouter les signes, surtout en voyage. Je n’irai donc pas dans ce musée-là.
Direction le parc Lazienki, un grand parc au sud de la ville. Le bus nous dépose juste devant, et je suis accueilli par un écureuil qui essaye littéralement de me manger dans la main ! C’est guimauve mais tu ne peux pas t’empêcher de trouver ça meugnon.
Ballade très agréable, donc, entre lac gelé, écureuils malicieux, rayons de soleil (enfin !), bref, tout le cocktail romantique classique (pour ne pas te gâcher le tableau, je ne te parle pas des arbres pelés, des corbeaux par dizaines et des stalactites au bout des oreilles. Remarque comme je te préserve, cher lecteur).
Après un autre bar à lait (moins fameux que le premier) et des allers-retours entre le froid de la ville et la chaleur de l’auberge,
c’est finalement au Centre Copernic que mes jambes à l’allure de Mister Freeze se laissent porter.
Le centre est un endroit très cool où
tu découvres la science en t’amusant. Non, ceci n’était pas un slogan de jeu de société. Même toi, tu t’amuserais !
Je ne vais pas te faire le topo sur le reste de ma soirée, ni même sur le lendemain. Pas parce que ce n’est pas intéressant, mais parce que là, en fait, je n’ai pas envie.
Tu lis cet article depuis quinze minutes mais moi ça fait trois heures que je gratte, donc à un moment donné, il faut savoir abréger. C’est moi qui écrit ou pas ? Bon.
Il faut juste que tu saches que je me suis rendu à un autre parc pour visiter un super palais, mais ce super palais était fermé. Si tu vas à Varsovie pendant Noël,
ne fais pas une heure de bus pour rien en direction du Palais Wilanow, sois gentil(le). Va plutôt au musée de l’insurrection. Si t’aimes pas l’Histoire, comme moi, tu aimeras quand même.
UN TEMPS POUR TOUT
Ça fera donc cinq jours que je suis parti de Toulouse.
Me voilà debout à 4h du matin, en train de courir sur du verglas (je suis tombé deux fois, vas-y marre-toi) pendant quinze minutes avec sac et valise pour ne pas louper le bus qui m’emmène à l’aéroport.
Je loupe le bus.
Quand le destin décide que tu vas en chier, il te le fait comprendre de la façon la plus cruelle ! La solution est vite trouvée : on commande un Über pour se laisser emmener loin de ma Varsovie.
Je la regrette déjà.
Comme si je n’avais pas eu le temps de la saisir, j’aurai aimé mieux la connaître. Elle m’a accueillie dans le bruit, le froid et le chaos.
La voilà qu’elle me laisse partir avec les jambes laminées et les yeux encore hagards. Entre les deux, elle m’aura laissé apercevoir un début de grande chaleur : celle d’un cœur reconstruit et d’une âme qui se construit.